Le syndrome RED-S existe-t-il vraiment ?
Le contexte
Le syndrome RED-S ou « Relative Energy Deficiency in Sports » est une condition reconnue depuis seulement quelques années qui semble affecter de nombreux athlètes d’endurance (mais pas seulement), amateurs et professionnels. Dans des sports où les charges d’entraînements sont toujours plus élevées et où la masse corporelle est souvent perçue comme un frein, il n’est pas surprenant de constater que certains sportifs flirtent avec les limites de leur corps.
Le syndrome RED-S désigne un déséquilibre, volontaire ou non, entre l’énergie apportée au corps (le carburant) et la dépense énergétique liée aux activités physiques (entraînements) ainsi qu’aux fonctions quotidiennes (travail, tâches annexes, métabolisme de base…). Il entraîne divers symptômes tels qu’une détérioration de la santé mentale, une augmentation du risque de blessures, une baisse de l’immunité, une altération de la santé hormonale, et bien plus encore.
Selon la compréhension actuelle du syndrome, RED-S intervient souvent à la suite d’une Low Energy Availability, ou disponibilité énergétique faible. Ce déséquilibre peut être volontaire, sans pour autant être réellement désiré, chez certains athlètes qui limitent leur apport énergétique ou souffrent de troubles alimentaires. Il peut aussi survenir sans que l’athlète s’en rende compte : dans des sports comme l’ultra-trail, le cyclisme ou le triathlon, les dépenses énergétiques peuvent rapidement dépasser 3 000 à 5 000 kcal par jour.
En médecine, à la suite de la découverte d’un symptôme, il est fréquent de voir apparaître une tendance au surdiagnostic, c’est-à-dire poser un diagnostic exagéré ou inapproprié pour une condition devenue « à la mode ». On pense bien sûr à l’intolérance au gluten ou le trouble déficitaire de l’attention (TDA-H), même lorsque les critères médicaux ne sont pas rigoureusement remplis.
Avec l’apparition du syndrome RED-S, il est probable que certains individus aient bénéficié (ou subi) de cette tendance au surdiagnostic. C’est, du moins à mon sens, la question que différents spécialistes du monde de la nutrition ont voulu poser dans un article intitulé : “Does Relative Energy Deficiency in Sport Exist?”
Alors, titre accrocheur ou syndrome surdiagnostiqué ? Que faut-il en conclure ?
Réflexion personnelle
Pour commencer, je suis particulièrement sensible au sujet, ayant moi-même souffert de troubles du comportement alimentaire en tant que cycliste, et ayant récemment été diagnostiqué avec un syndrome RED-S. Il est donc évident que ce sujet me touche personnellement et que mon opinion est orientée.
Lorsque j’ai vu ce titre apparaître sur le compte Instagram d’une des sources les plus fiables en nutrition sportive, j’ai été un peu choqué. Le syndrome RED-S est une pathologie délicate, car même si les symptômes sont majoritairement physiques et physiologiques, ils sont souvent causés par l’état psychologique des individus.
Sans avoir de données chiffrées à l’appui, je dirais que la majorité des personnes que j’ai rencontrées qui souffraient de ce syndrome étaient dans un état psychologique qui les empêchait de s’alimenter ou de se reposer suffisamment. Elles avaient souvent une faible estime d’elles-mêmes, cherchaient constamment à se rassurer, se trouvaient trop « grosses » ou trop « fainéantes » selon les standards de leur sport. Ce sont les mêmes raisons qui causent des troubles du comportement alimentaire et l’addiction à l’exercice physique chez de nombreux athlètes.
Publier un tel titre sur les réseaux sociaux, à une époque où beaucoup ne prennent plus le temps de lire entre les lignes, est pour le moins provocateur, voire risqué. En remettant en question l’existence même d’un syndrome encore mal compris, on peut décrédibiliser ceux qui en souffrent, ce qui est loin d’être souhaitable car le syndrome RED-S est complexe, et ses symptômes sont débilitants voire graves.
Auparavant regroupés sous le terme de « triade de l’athlète féminine » (avant que l’on comprenne que RED-S pouvait aussi affecter les hommes), les symptômes incluent :
Une santé mentale détériorée
Des troubles hormonaux (aménorrhée chez la femme et baisse de la libido chez l’homme)
Des troubles alimentaires ou du comportement alimentaire
Des troubles du sommeil
Une immunité affaiblie
Un risque accru de blessures
Un ralentissement de la digestion
Ces symptômes surviennent lorsque le corps ne reçoit pas assez d’énergie pour répondre à la fois aux besoins de l’entraînement et aux exigences de la vie quotidienne. Le corps fait alors des choix, priorisant le cerveau et les muscles, au détriment d’autres fonctions vitales. Cela provoque une cascade de problèmes : ralentissement du métabolisme, baisse de la récupération, affaiblissement du système immunitaire, etc.
L’article devient intéressant lorsque, au-delà de questionner modèle RED-S, il cherche à montrer que d’autres facteurs que l’alimentation peuvent entrer en jeu dans l’apparition et la persistance du syndrome.
Ils en identifiant huit :
L’entraînement et le mode de vie
L’environnement
La santé mentale
Les troubles alimentaires ou du comportement alimentaire
La nutrition
Le sommeil
Les infections ou maladies diverses
D’autres causes inconnues
Cela peut expliquer pourquoi certains athlètes continuent de souffrir du syndrome même après avoir augmenté leur apport énergétique, ou pourquoi les symptômes apparaissent sans changement notable dans le ratio entre entraînement et alimentation.
Comme l’explique Renee McGregor, diététicienne de renom spécialisée dans le RED-S :
« Les individus adoptent parfois des comportements comme une mauvaise récupération, un excès de compétitions, un surentraînement, un manque de glucides dans leur alimentation, ou encore souffrent de troubles du sommeil liés à un stress trop élevé. Ces facteurs provoquent les mêmes symptômes de dérèglement métabolique et physiologique que le syndrome RED-S. »
Elle ajoute cependant :
« Que ce syndrome soit appelé RED-S ou non, il existe et a des conséquences graves sur la santé et la performance. »
Que le syndrome RED-S soit causé par une multitude de facteurs semble logique et pousse à adopter une approche plus holistique dans l’évaluation des athlètes. Qui ne s’est par exemple jamais senti épuisé à cause d’un changement de lieu de vie ou de travail ? Toutefois, il ne faudrait pas que cette multiplicité d’angles d’analyse serve de justification pour minimiser l’importance de la sous-alimentation, ce qui est un des risques posés par les auteurs avec un titre aussi provocateur.
Dans tous les cas, l’objectif premier doit être de rétablir l’équilibre entre l’entraînement, la vie quotidienne et l’alimentation de l’athlète, une tâche loin d’être simple. Même en France, où le système de santé est réputé pour son efficacité, il est difficile de trouver une équipe médicale capable d’aborder la santé, la psychologie, la nutrition et l’entraînement sportif de manière intégrée. Ces disciplines sont souvent cloisonnées.
So what ?
En conclusion, je crois qu’il peut être utile de remettre en question le modèle RED-S pour mieux le comprendre et mieux l’identifier dans les années à venir. Cependant, des athlètes souffrent aujourd’hui et ont besoin d’une aide immédiate. Ainsi, mieux vaut risquer un surdiagnostic que de sous-diagnostiquer une condition aux conséquences potentiellement sévères. C’est pourquoi je pense que le titre de cet article est mal choisi. Heureusement, les auteurs proposent des alternatives au diagnostic, comme la « Athlete Health and Readiness Checklist », qui pourrait permettre une meilleure détection du syndrome dans le futur…
Je vous incite à lire l’étude pour vous faire votre propre avis. D’ici le prochain article, portez-vous bien !
lien de l’article : https://link.springer.com/article/10.1007/s40279-024-02108-y
pour mieux comprendre ce syndrome : https://red-s.com/